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Titel
Bundesratswahlen. Der lange Weg zum historischen Kompromiss. Der schweizerische Bundesrat 1884–1900: Referendumsstürme, Ministeranarchie, Unglücksfälle


Autor(en)
Altermatt, Urs
Erschienen
Zürich 2021: NZZ Libro
Anzahl Seiten
264 S.
von
Olivier Meuwly

Spécialiste de l’histoire de la démocratie chrétienne helvétique, Urs Altermatt s’est hissé au rang d’historien du Conseil fédéral avec la parution de son Dictionnaire des conseillers fédéraux, publié en 1991 en allemand puis en français trois ans plus tard. Au fil du temps, une série de conseillers fédéraux, et désormais de conseillères fédérales, a rejoint notre «olympe» national, mais, surtout, de nouvelles recherches ont apporté de nouveaux éclairages sur l’histoire politique de la Suisse. Depuis la sortie du Dictionnaire, des études relatives aux partis politiques, si souvent négligés dans notre historiographie nationale, ont été rédigées alors que plusieurs biographies de conseillers fédéraux, consacrées à Emil Welti, Numa Droz ou Philipp Etter, ont trouvé le chemin des librairies, illustrant le nouvel élan que connaît ce genre auprès des historiens et historiennes suisses.

Urs Altermatt s’est alors attelé à une deuxième édition de son Dictionnnaire, sorti en 2019 aux éditions NZZ Libro, hélas uniquement en allemand. Mais l’historien soleurois, professeur émérite de l’Université de Fribourg, a voulu aller plus loin et s’est proposé de tirer du formidable matériel accumulé pour le Dictionnaire une histoire du Conseil fédéral, principalement placée sous l’angle des élections, de leur déroulement, de leur signification, des enjeux qu’elles recèlent, ainsi que des jeux politiques qui se trament en arrière-fond de ces grands moments de la vie politique qu’a été, et qu’est, l’élection d’un conseiller fédéral. Le résultat de l’enquête est passionnant et permet une ample réévaluation de cette histoire politique que dévoilent des élections dont la relative «routine» actuelle cache trop souvent les luttes d’autrefois, feutrées certes mais parfois rudes, dont les élections au Conseil fédéral étaient le théâtre.

Le premier volume de cette histoire des élections fédérales a été publié en 2020 et le second à la fin de l’année suivante. Le premier, déjà en recensé dans la RSH, proposait, au-delà des nombreuses et palpitantes péripéties présidant à ces élections d’un type si particulier, deux thèses majeures. Urs Altermatt démontrait d’abord avec brio que les élections au Conseil fédéral, contre l’image d’Épinal dont on se satisfait aujourd’hui, ont été durant tout le XIX e siècle l’objet de vraies luttes politiques qui, malgré l’apparente fluidité des opérations et le peu de remous au final dans la composition du gouvernement, révélaient des conflits de tendance entre les forces politiques et au sein même du grand ensemble radical. Les élections à la vice-présidence du collège, marchepied obligatoire vers une présidence que l’on souhaitait, elle, préservaient de conflits trop immédiats, donnaient des indices précieux sur le poids des différents conseillers fédéraux et reflétaient l’état des équilibres politiques à l’œuvre. Le passage à la présidence selon l’ancienneté ne date que de la fin du XIX e siècle.

La deuxième thèse majeure défendue par Altermatt découlait de la première. Que la Suisse entre 1848 et 1914 n’ait jamais été «la Suisse des radicaux», selon l’expression utilisée par Roland Ruffieux dans l’Histoire de la Suisse et des Suisses (1982–1986), était connu depuis les travaux fondateurs d’Erich Gruner. Des études plus récentes n’ont pu que confirmer ce constat. Reconnaissant s’être longtemps contenté de classifications un peu hâtives de nombre de conseillers fédéraux, rapidement attribués à la «grande famille radicale», selon la définition proposée par Gruner pour décrire le vaste conglomérat qui prend le pouvoir après la guerre du Sonderbund, l’auteur offre une remarquable réinterprétation d’une réalité soustraite à toute approche globalisante et farcie de nuances.

Il affine ces grandes questions dans son deuxième volume. Il relève combien la nouvelle Constitution fédérale de 1874 bouleverse le travail au quotidien du collège gouvernemental, confronté aux nombreuses tâches nouvelles que ses rédacteurs ont voulu confier au gouvernement central. Mais elle affecte aussi les pratiques politiques, métamorphosées par l’introduction du référendum législatif facultatif, dont les conservateurs catholiques s’emparent immédiatement, et avec pugnacité, pour enrayer la machine législative des radicaux. Au milieu des grandes mutations sociales et politiques qu’impulse la Belle Époque, la vie politique s’emballe, au gré de batailles référendaires homériques, déjà bien étudiées mais que l’auteur resitue dans la perspective de leurs conséquences sur la formation du Conseil fédéral.

Il peut ainsi expliquer en détail la longue marche menant les radicaux à comprendre l’inanité de leur ambition à vouloir représenter seuls la Suisse dans sa diversité et, dès lors, la nécessité d’associer les conservateurs catholiques à l’action gouvernementale, chose réalisée en 1891. Dès lors, les guerres politiques qu’annonce tout retrait du Conseil fédéral s’apaisent, de même que les rivalités autour des élections à la vice-présidence du Conseil. De même les «Komplimentswahlen», qui imposaient aux conseillers fédéraux l’obligation morale de se faire élire au Conseil national dans leur canton avant de briguer une réélection au gouvernement, disparaissent progressivement dès les années 1880. La «routine» que l’on connaît s’installe: d’un gouvernement collégial, mais dérivant vers une «départementalisation» déjà visible dès les débuts de l’État fédéral mais en développement marqué dès 1874, on passe à un gouvernement de concordance, que renforcera l’extension ultérieure du Conseil fédéral vers les agrariens en 1929 et les socialistes en décembre 1943.

Ce deuxième volume permet en outre à Altermatt de revenir sur la question de l’appartenance politique de maints conseillers fédéraux difficilement classables, une question qu’il aura tant contribué à renouveler. Son analyse invite à repenser l’histoire de cette formation si hétérogène que fut la «grande famille radicale». Il estime ainsi que la jeune Confédération s’est bâtie sur un système bipartite composé des radicaux et des libéraux, ces derniers bientôt rassemblés sous l’appellation de «centre». De fait, les deux groupes se disputeront longtemps la majorité au sein du Conseil fédéral, le centre déclinant à partir des années 1880, avant de s’écrouler au seuil des années 1890 avec la démission de Welti en 1891. Celui-ci sera remplacé par le premier conseiller fédéral conservateur catholique, Zemp. La thèse d’un bipartisme opposant radicaux et libéraux du centre mérite toutefois d’être discutée: anéantit-elle celle de Gruner, défendant l’existence d’un vaste ensemble allant du centre libéral à une aile gauche socialisante et bientôt démocrate, en passant par les radicaux romands et les ultra-anticléricaux, et à laquelle j’ai adhéré dans mes propres travaux?

Je pense plutôt que l’approche d’Altermatt approfondit, nuance et surtout complète celle de Gruner, mais sans l’invalider. Car, à mon avis, l’auteur va un peu trop vite en plaçant sous même toit idéologique des gens aussi dissemblables que le Vaudois Cérésole, un vrai libéral-conservateur protestant, Hammer, proche des catholiques, membre des «gris» soleurois héritiers du libéralisme du premier conseiller fédéral Munzinger et opposés au «Rouges» de Vigier et Kaiser, le Genevois Ador, Welti, radical modéré argovien qui, en effet, deviendra un pilier du «centre», et les libéraux-radicaux zurichois, successeurs de Furrer et Escher. Comme le suggérait Gruner, c’est un anticléricalisme plus ou moins virulent qui sert de ciment entre les différentes «alvéoles» composant le «Freisinn» d’alors. En revanche, dès que le Parti radical-démocratique suisse (PRD) est fondé en 1894, sur la base d’une union entre les démocrates et l’aile libérale-radicale avec l’appui des radicaux romands, on peut suivre la transformation de l’ex-centre en parti libéral, officialisé en 1913, avec les libéraux n’ayant pas rallié le PRD.

Altermatt, à la fin de l’ouvrage, parle d’une coalition: l’expression me convient mieux, même si je préfère encore celle de «regroupement» de «tendances», il est vrai souvent vigoureusement hostiles l’une à l’autre. Il n’empêche que ce débat, que l’auteur aborde à nouveaux frais, montre la richesse de son ouvrage qui ouvre de multiples et fructueuses pistes de réflexion et de recherche. Passionnant à lire de bout en bout, il obéit à l’objectif que son auteur s’est fixé: apporter une contribution à l’histoire du Conseil fédéral, de l’administration et des partis politiques suisses. Une contribution essentielle, ajouterais-je, qui marque une nouvelle étape dans la connaissance non seulement des débuts de l’État fédéral, mais aussi des arcanes souvent perçus comme mystérieux de l’organisation complexe du système gouvernemental suisse.

Zitierweise:
Meuwly, Olivier: Rezension zu: Altermatt, Urs: Bundesratswahlen. Der lange Weg zum historischen Kompromiss. Der schweizerische Bundesrat 1884–1900: Referendumsstürme, Ministeranarchie, Unglücksfälle, Zurich 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 72 (2), 2022, S. 307-309. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00108>.

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